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Le passé de 40 millions de Canadiens en voie d’être décrypté par des étudiants de l’UdeM

17 juillet 2019

Dirigés par la professeure Lisa Dillon, une dizaine d’étudiants de l’UdeM et d’ailleurs colligent les données personnelles de 40 millions de Canadiens tirées des recensements effectués de 1851 à 1921.
Un texte de Martin Lasalle

De 1851 à 1921, la population canadienne est passée de 2,5 à 8,7 millions d’habitants. Qui étaient-ils? D’où venaient-ils et quelle langue parlaient-ils? Quel était leur rang social et que faisaient-ils dans la vie?

Ce sont là quelques questions auxquelles s’affairent à répondre un groupe d’étudiants de l’Université de Montréal et d’autres universités, dans le cadre d’un projet intitulé Le peuple canadien – The Canadian Peoples. Ce projet, qui fait partie du Programme de recherche en démographie historique (PRDH), est dirigé à l’UdeM par les professeurs Lisa Dillon et Alain Gagnon, du Département de démographie.

Le projet, qui s’étale depuis l’été 2019 jusqu’en 2021, va bien au-delà de la recherche des usuels actes de naissance, de mariage et de décès des personnes. Installés dans les bureaux du PRDH, les étudiants travaillent à codifier et à nettoyer les données des sept recensements effectués de 1851 à 1921, dont la nationalité d’origine des Canadiens de cette époque, leur langue et les endroits où ils ont vécu; leur niveau d’instruction et les écoles qu’ils ont fréquentées; leurs métiers ou occupations et leur salaire; leur religion, et bien d’autres informations.

Pour compléter les renseignements de façon systématique, ils fouillent différentes sources, dont les relevés de l’entreprise de généalogie Ancestry (qui collabore au projet), les registres d’état civil, les annuaires municipaux et les listes électorales. «On suit les gens en fonction de leurs étapes de vie!», illustre Lisa Dillon.


Saviez-vous que ?

Le Canada effectue des recensements de sa population depuis 1666.

 

40 millions de lignes d’information à scruter!

 

En pratique, les étudiants affectés au projet font face à certains défis de taille.

Le premier consiste à scruter, à l’aide de programmes informatiques, pas moins de 40 millions de lignes d’information portant sur chacun des Canadiens ayant vécu au pays au cours de ces 70 années!

Ils doivent notamment détecter les informations erronées ou mal recensées. «Parfois, les recenseurs de l’époque peuvent avoir intégré une donnée dans une mauvaise case ou colonne: par exemple, le type de métier de la personne peut être inscrit dans la colonne où devrait apparaître son lieu de naissance», d’imager Mme Dillon.

De même, les relevés fournis par l’entreprise Ancestry ont été colligés par des entreprises partenaires de la Chine, des Philippines, du Sri Lanka et de Madagascar. Les personnes chargées de retranscrire les renseignements n’étaient pas toujours en mesure de deviner la nature des mots mal orthographiés…

Car – autre défi! – il faut parfois décrypter ce que les recenseurs de l’époque ont inscrit sur leurs listes: tous n’avaient pas le même niveau d’éducation… ni les mêmes qualités calligraphiques!  L’équipe de recherche du PRDH relèvera ce défi en combinant compétences en science des données et compréhension historique. Cette expérience de travail aidera à préparer ces étudiants à un emploi hautement qualifié dans l’économie numérique et l’analyse de données de masse.

Un projet de portée nationale et internationale

 

Le peuple canadien – The Canadian Peoples est un projet interuniversitaire auquel collaborent les universités de Guelph, Laval, de l’Alberta, de la Saskatchewan, de Toronto, du Nouveau-Brunswick, d’Ottawa et Queen’s, dont le directeur est Kris Inwood, économiste historique à l’Université de Guelph, en Ontario.

Le projet réunit des spécialistes de plusieurs disciplines, dont la démographie, la géographie, la sociologie, l’économie et l’histoire. «La compilation des données permettra de doter les chercheurs d’une base de données à grande échelle qui permettra la production d’une série d’études qui conduiront à une nouvelle vision de l’évolution des hétérogénéités des populations et des inégalités sociales au Canada», poursuit la professeure de l’UdeM.

En somme, il permettra de connaître l’évolution des gens ordinaires, depuis l’ère de la pré-Confédération canadienne à l’après-Première Guerre mondiale et la Révolution industrielle.

La codification des données sera harmonisée avec celle de différents pays, dont la Suède, la Norvège, l’Islande, la Grande-Bretagne et les États-Unis. Ce travail d’harmonisation permet d’effectuer des comparaisons entre pays qui peuvent s’avérer révélatrices au plan sociohistorique.

Par exemple, en comparant les recensements canadiens du début du XXe siècle avec ceux des États-Unis, on constate que l’augmentation du taux de fécondité était autant observée au Québec que dans certains États américains. Il semble que la hausse de la fécondité repose davantage sur des considérations matérielles et des variations industrielles, que sur le fait d’appartenir à une communauté comme celle des Canadiens-français.

Quand le passé fait écho à l’actualité

 

La base de données qui résultera de ce projet permettra d’accroitre nos connaissances sur l’histoire de la population canadienne, grâce à des analyses novatrices, selon différents axes, tels que:

  • le lien entre les conditions de vie dans l’enfance et l’âge adulte;
  • les facteurs associés au maintien de la forte fécondité, incluant l’influence des apparentés, l’hétérogénéité des comportements de fécondité à travers le Canada, et les origines du déclin de la fécondité;
  • la migration en lien avec les causes sous-jacentes du sous-développement du Canada atlantique, l’émigration des francophones, et les origines de la colonisation de l’ouest du Canada;
  • l’ampleur et la persistance des inégalités socioéconomiques, la mobilité sociale intra et intergénérationnelle, l’assimilation des immigrants, les transitions professionnelles et salariales au sein des générations, et l’impact de la Première Guerre mondiale;
  • et enfin, la transformation des communautés et des identités culturelles, la rétention et la perte de la capacité linguistique en français, et les déterminants de la survie et de la croissance des populations minoritaires.

Selon Lisa Dillon, le projet – financé par la Fondation canadienne pour l’innovation – rendra possible l’analyse de multiples mécanismes structurels qui, au XIXe et au début du XXe siècle, ont conduit le Canada à devenir une société moderne.

«Ces analyses feront  écho aux nombreux débats de société actuels tels que l’intégration des immigrants, la mobilité sociale et linguistique, le travail des femmes, les familles recomposées, les mariages mixtes, l’autonomie résidentielle, les caractéristiques socioéconomiques des femmes âgées, et le déclin de la fécondité, pour n’en nommer que quelques-uns», conclut-elle.

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