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Profession : chasseur d'héritiers

31 juillet 2010

Planifier sa succession n'est déjà pas chose simple. Mais lorsque, à la mort de quelqu'un, il est impossible de retrouver un testament ou même un héritier, les choses se compliquent davantage. La Voix de l'Est a questionné un notaire, un chercheur d'héritiers ainsi que le ministère du Revenu, héritier potentiel de toutes les petites fortunes non réclamées, qui ont tenté d'éclaircir un peu le processus qui entoure la liquidation des biens d'un défunt qui n'avait rien préparé de ses dernières volontés.
Texte par Marc Gendron

Ils ne sont qu’une demi-douzaine en Amérique du Nord à pratiquer ce métier. Au Québec, seulement deux sont officiellement reconnus. Lorsque les notaires frappent un mur dans la liquidation d’une succession, lorsqu’ils sont incapables de retrouver un successible précis ou même lorsqu’ils ne retrouvent pas le moindre héritier potentiel, ils font appel à ces généalogistes successoraux, connus aussi sous le nom de chasseurs ou de chercheurs d’héritiers, pour tenter de les sortir de cette impasse.

«Ce sont effectivement surtout les notaires qui requièrent nos services, indique l’un de ces chercheurs d’héritier, Christophe Savary, qui tient une étude à Trois- Rivières. Mais il arrive aussi que des particuliers fassent appel à nous pour prouver leur lien de parenté avec un défunt, lorsque le ministère du Revenu (qui joue maintenant le rôle de curateur public au Québec) demande à un successible de faire la démonstration de ce lien pour toucher leur héritage.»

Mais, règle générale, la vaste majorité des mandats accordés à M. Savary, le sont par des notaires québécois et français, des avocats du reste du Canada et des États-Unis ainsi que par des curateurs publics de certaines provinces canadiennes.

«C’est suffisant pour m’occuper à l’année, indique celui qui a une formation en droit d’une université française. Surtout que, certains dossiers peuvent nous tenir occupés jusqu’à deux ans avant que l’on puisse tirer des conclusions.»

Travail de moine

Le travail du chercheur d’héritiers se fait surtout au niveau des archives locales et nationales, mais il implique aussi souvent que le chercheur ait à se déplacer pour faire progresser ses recherches.

«Je reviens justement d’Ottawa où j’ai fouillé dans les archives nationales pour un de mes dossiers, reprend Christophe Savary, qui pratique ce métier depuis plus de 20 ans. Mais il m’est aussi arrivé d’aller jusqu’en Nouvelle-Zélande pour boucler un dossier. Et je prévois bientôt aller en Israël pour une autre affaire. Chercheur d’héritiers, c’est un travail long et fastidieux, mais c’est surtout très passionnant.»

Le métier comporte aussi sa part de risques, surtout financiers, puisque les frais de recherche sont assumés par le chercheur lui-même.
«Il arrive que nous remplissions des mandats à contrat ou suivant une rémunération horaire, mais la plupart du temps, nous sommes payés lorsque l’un des héritiers que nous retrouvons touche son héritage.»

Lorsqu’il entre en contact avec les successibles, M. Savary leur présente un contrat expliquant clairement les frais qui devront être déboursés pour avoir accès aux renseignements permettant de mettre la main sur un héritage.

«Nous demandons simplement un pourcentage de l’héritage, dit-il. Je dirais que 95 % des gens que nous contactons sont bien à l’aise avec nos tarifs puisqu’ils sont conscients des démarches qui ont dû être faites pour les retracer. Mais c’est évident qu’il s’en trouve toujours pour rechigner.»

Dans les cas où les recherches seraient infructueuses ou que les successibles refusent leur héritage, M. Savary ne touche pas un sou.
«Il m’est arrivé de travailler sur un cas pour apprendre, lors de la préparation de l’inventaire des biens du défunt, qu’il avait laissé un testament. L’homme léguait tout à des oeuvres de charité alors je n’ai pas été payé.

Ce sont des choses qui arrivent, dit-il, mais règle générale, nous arrivons à faire nos frais. D’ailleurs, nous ne refusons jamais un mandat, qu’il s’agisse d’une petite ou d’une grosse succession. Mais évidemment, quand la valeur de la succession est plus élevée, les choses vont plus vite.»

Milieu compétitif

L’un des rares autres chasseurs d’héritiers au Québec, qui a préféré taire son identité, admet lui aussi qu’il s’agit d’un milieu très fermé.

«Nous sommes très peu à pratiquer le métier, mais la compétition y est très féroce», mentionne le chercheur.

S’il a requis l’anonymat, c’est qu’il considère n’avoir rien à gagner en terme de crédibilité en publicisant son nom ainsi que celui de son entreprise dans les journaux.

«Nous préférons demeurer discrets, dit-il. Nous considérons que de parler de notre profession ne ferait qu’entretenir la confusion.»
Christophe Savary croit plutôt que sa profession, qui n’a pas toujours eu bonne presse, gagne à être connue.

«Nous jouissons d’une très bonne réputation au sein des professionnels du droit successoral ici, au Québec, mais notre travail est passablement inconnu du grand public. En revanche, en France, certaines histoires ont fait que la réputation des généalogistes successoraux n’a pas toujours été bonne. Et avec l’accroissement des tentatives d’hameçonnage par courriel concernant des soi-disant héritages retenus dans des pays d’Afrique, ce n’est rien pour améliorer les choses. C’est pourquoi je considère qu’il est important de démystifier notre travail auprès des gens.»

D’ailleurs, dans son Avis de qualité présentant une série de quelques centaines de successions non réclamées, publié dans les pages de La Presse Affaires du week-end dernier, une mise en garde à propos des chercheurs d’héritage a de quoi soulever des questionnements.

«Par ailleurs, vous pourriez être approchés par un chercheur d’héritier (personne ou entreprise dont l’activité consiste à trouver les personnes qui ont droit à un héritage). Sachez que ces personnes peuvent exiger des honoraires élevés, que vous devez parfois payer avant même d’accéder aux renseignements préliminaires concernant l’héritage. Notez que le ministère du Revenu du Québec n’est aucunement responsable des frais que vous pourriez engager auprès d’un chercheur d’héritier», mentionne l’Avis de qualité.

«Ce genre de mise en garde là ne nous aide pas non plus», admet enfin Christophe Savary.

Un casse-tête long à rassembler

C’est vrai que ce n’est pas le sujet le plus agréable à aborder. Pour certaines personnes, la simple évocation de leur propre mort suffit à causer un malaise. Mais une chose est sûre, planifier ses dernières volontés et rédiger un testament est le meilleur service que l’on peut rendre à ses proches parce que, dans le cas contraire, c’est un joli casse-tête qu’on leur laisse en héritage.

«Les choses sont plus compliquées quand il n’y a pas de testament, admet la notaire granbyenne Monique Saurette. Dans ces cas-là, la succession est traitée selon les dispositions du Code civil.»

C’est là que les choses se compliquent, surtout dans le cas de couples vivant en union de fait.

Dans le cas d’une succession dite légale, le Code civil prévoit que l’héritage d’un défunt est divisible entre le conjoint avec lequel il était marié ou uni civilement et ses enfants dans la proportion de 1/3 pour le conjoint et 2/3 pour les enfants, donc rien pour le conjoint de fait ou la belle-famille.

Et encore là, il y a toute une série de vérifications à faire, dont les termes du contrat de mariage, avant de pouvoir liquider les biens.

Si le défunt n’a pas de noyau familial proche (ni conjoint ni enfant), l’héritage peut revenir à ses parents, s’ils sont encore vivants, à ses frères et soeurs et en dernier recours, à ses neveux et nièces.

Refus de succession

Il peut parfois arriver que les gens successibles, c’est-à-dire ceux qui ont droit à un héritage, refusent tout simplement leur héritage.

«Ça peut se produire quand les gens croient que la succession est insolvable, explique Me Saurette, c’est-à-dire que la valeur des biens et des liquidités du défunt ne suffirait pas à rembourser la totalité de ses dettes.»

S’il y a un doute sur la solvabilité d’une succession, les successibles ont le loisir d’attendre la publication d’un avis de clôture d’inventaire, réalisé par le ministère du Revenu du Québec, avant de prendre leur décision. Cet inventaire permet d’avoir un portrait précis des possessions et des dettes du défunt et de déterminer si elle est solvable ou non.

Si un avis d’inventaire est préparé, que les successibles acceptent la succession, ils sont considérés comme étant héritiers. À ce titre, ils auront à rembourser les dettes du défunt, mais leur responsabilité sera limitée à la seule valeur des biens. Ils n’auront pas à débourser de leur propre argent.

«Dans le cas où les gens acceptent la succession avant même la préparation de l’inventaire, ils sont tenus responsables de toutes les dettes du défunt, précise Monique Saurette. C’est pourquoi il est plus prudent d’attendre l’avis de clôture d’inventaire en cas de doute.»

D’ailleurs, la notaire prévient les gens de ne pas disposer des biens d’un défunt ni de les utiliser à leur propre profit avant la confection de l’inventaire parce que ce geste est automatiquement considéré comme étant une acceptation de la succession.

Et si, au terme de toutes leurs réflexions, les successibles décident de refuser une succession, la balle est envoyée dans le camp du ministère du Revenu.

«Ce sera aux gens du Ministère de voir au remboursement des dettes et à la liquidation des biens», reprend Mme Saurette. (Voir autre texte).

Héritiers inconnus

Il peut aussi arriver qu’un défunt n’ait aucun héritier connu. Le liquidateur doit alors entreprendre un travail de recherche pour tenter de retrouver les gens qui seraient en droit d’hériter.

«Lorsque l’on fait face à une personne qui n’a pas de famille proche, on doit parfois faire appel à des chercheurs d’héritiers, des gens qui font un travail d’enquête pour tenter de retrouver un parent quelconque, indique Monique Saurette. Généralement, ils ont pas mal de succès et finissent par retrouver quelqu’un. Leurs services sont particulièrement bienvenus dans le cas de personnes qui ont immigré ici et qui n’ont de famille que dans leur pays d’origine.»

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